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LA LOI DU SEIGNEUR : PALME D’OR POUR UN WESTERN DE PLOMB

Publié le 01/11/2015 à 21:31 par vivelewestern Tags : vie blog merci monde homme chez femme dieu cadre musique sourire film enfant papier bande livres richesse signature
LA LOI DU SEIGNEUR : PALME D’OR POUR UN WESTERN DE PLOMB

La Loi du seigneur (Friendly Persuasion)

de William Wyler - 1956

 

Comment expliquer le fiasco artistique de « La loi du seigneur », grosse production réalisée par William Wyler qui était l’un des réalisateurs les plus en vue des années 40-50 ? Après une première vision du film, c’est cette interrogation première qui nous amène à lui consacrer quelques lignes dans ce blog, ou l’on privilégie d’ordinaire les chefs d’œuvre, les films rares et les curiosités. 

Sur le papier, tous les ingrédients étaient réunis pour que cette comédie matinée de mélo et de western, soit une production honorable : au réalisateur et à la star, il faudrait en effet ajouter une équipe technique très solide, parmi laquelle on distinguera le scénariste, Michael Wilson, auteur d’ « Une Place au soleil », du « Sel de la terre » et plus tard, de « La Planète des singes » et Dimitri Tiomkin, compositeur de la bande musicale, un spécialiste du western… Et pourtant, le désastre est bien réel.

Pourquoi alors prêter quelque attention à « La loi du seigneur », me direz-vous ?             

D’abord, pour le grand Cooper ; même dans un film quelconque ou un simple véhicule pour star, sa présence n’est jamais insignifiante. Dans « La Loi du seigneur », il semble parfois un peu en dessous de lui-même, mais même là, son interprétation révèle la variété et la richesse de son talent, l’intelligence de son jeu très mesuré. Ensuite, « La Loi du seigneur » témoigne d’une certaine recherche d’originalité dans la conduite du récit, qui se déroule pendant la guerre de Sécession – une relative originalité qu’il faut certainement imputer au scénariste. 

Mais avant de nous attarder sur ces points qui sauvent in fine « La Loi du seigneur », vidons tout de suite les motifs de querelles et les griefs : ce qui gâte ce film, c’est d’abord son tempo, très médiocre dans la première heure (sur les 2h17 du film). On ne sait pourquoi, Wyler s’appesantit sur une séquence de foire, alors qu’il aurait pu montrer avec plus d’efficacité et de sens du rythme la singularité de la famille du héros : ce sont des quakers. De même, il dilate encore le temps (et avec moins de brio que Capra dans la scène de discours de « M. Smith au sénat », ou Sergio Leone après lui !) lorsqu’il filme une interminable scène de recueillement de la communauté quaker (on ne peut pas parler de messe pour cette confession). Le ton du film, qui privilégie la comédie pendant les 2/3 de sa durée, aurait pu être bon enfant – après tout « La Loi du seigneur » se veut film familial. Mais il confine souvent à la mièvrerie, lourdeur renforcée par la musique sirupeuse de Tiomkin, lui aussi mis en échec pour une fois. Et que dire du dilemme des protagonistes de la famille Birdwell ? Compte tenu de leur religion, version exacerbée du protestantisme, ils ne peuvent s’adonner à aucun acte de violence. Quand ils seront rattrapés par la guerre de Sécession en 1862, là où se trouve leur ferme, ils feront des choix divergents. Le fils, incarné par un Anthony Perkins juvénile et frêle (il n’est pas encore cantonné aux rôles de névrotiques qui feront sa célébrité), décide de sauter le pas : il s’engage dans les milices paysannes chargées de refouler les hordes sudistes qui menacent. Le père, dont le rôle échoit à Gary Cooper, ne peut se résoudre à faire la guerre. « Comme l’incendie et l’inondation, s’ils doivent venir, ils viendront. C’est la volonté de Dieu », conclut sa femme, jouée par  Dorothy McGuire, ici assez transparente. Le pensum sur la non-violence ne va pas très loin : les quakers se conforment à un précepte fondamental de la Bible, « Tu ne tueras point ». On retiendra tout de même la réflexion de Jess Birdwell quand son fils, Josh, lui fera part de sa volonté de s’engager : « Je ne suis que son père, pas sa conscience. Et la vie ne vaut d’être vécue que si on suit sa conscience. » Joli. Mais il aura quand même fallu 1h30 pour que « La Loi du seigneur » trouve des accents dramatiques qui lui confèrent un peu de profondeur et le fasse échapper à la futilité.

Au passage, le film de Wyler fait un peu de pédagogie en chantant les grandes vertus américaines : le sens du devoir et de la propriété. On doit défendre sa terre. Le pardon aussi, quand Jess Birdwell, mis devant le fait accompli, s’abstient de tuer un sudiste à sa merci et lui rend la liberté. Wyler, américain né à Mulhouse, prône comme tous ses semblables, un attachement souverain à sa famille et à la nation.                        

 

Venons-en à Cooper, le « clou » du spectacle : même si « La Loi du seigneur » souffre de la comparaison avec ses prestations dans « Vera Cruz » (1954) ou dans « La Colline des potences » (1958), on reste subjugué par l’art de la star vieillie et ridée. Après 35 ans de métier, l’acteur sait encore nous bluffer par sa capacité à se renouveler, à se réinventer, grâce à de petits riens, quelques gestes, mimiques, et postures, qui disent la maîtrise absolue de sa palette. L’homme ne dégage plus la force qu’il pouvait encore inspirer dans « Le Train sifflera trois fois ». Longue silhouette dégingandée, on sent Cooper fragile, malade sans doute. Comme l’a écrit  Luc Moullet, « le roi des cow-boys a toujours été en fait un homme malade ». Loin cependant des contusions occasionnées par le métier de cascadeur qu’il exerça jusqu’à 25 ans, on subodore que le mal est alors plus profond. Le cancer qui emportera Cooper à soixante ans, en 1961, s’était-il déjà déclaré ? On ne saurait le dire. Fatigué ou pas, Cooper n’a jamais été un acteur physique, de ceux qui se caractérisent par une débauche d’énergie, une rapidité, une fulgurance du geste. Paradoxe pour un acteur de films d’action. Même dans « L’Homme de l’Ouest », quand il doit jouer des poings, il le fait à moindre frais. On notera cependant que John Wayne était fait du même bois : pour neutraliser le villain, il lui assénait son fameux coup de crosse dans la mâchoire, qui constituait un peu sa signature d’acteur. Un minimum d’effort pour un maximum de résultat. Rien à voir avec l’art de l’athlète ou du danseur cultivé par tant d’autres depuis Fairbanks : Errol Flynn, Burt Lancaster, Kirk Douglas, Tony Curtis… 

L’art du grand Coop’ donc : la star en fait la démonstration sans effort, sans ostentation, sans cabotinage. L’air tour à tour contrit, malicieux, empêché (par son éducation quaker), il compose sa palette. Malicieux : il lui suffit de jeter un regard en coin, l’œil qui frise… ou d’esquisser un sourire timide. Empêché : les repentirs, ces gestes esquissés et inaboutis, sont nombreux dans « La Loi du seigneur », comme lorsque Cooper s’apprête à serrer la main d’une femme avant de se raviser, ou quand, jovial, il va taper sur la cuisse de sa femme comme sur celle d’un vieux camarade. Cooper peut  changer de pied soudain, quant au cœur d’une composition feutrée, il glisse un moment hilarant d’exaltation : pour surmonter le bruit d’un orgue au premier étage de son logis, il se lance dans une vibrante prière, qui étonne pour le moins ses condisciples quakers venus le visiter… Les instruments de musique sont interdits chez les quakers.       

On pourrait continuer longtemps à chanter les vertus de Cooper. Des livres y ont été consacrés. Trop peu à mon goût, cependant. Il vaut mieux conclure avec Luc Moullet, excellent analyste du jeu des stars : Cooper est « un acteur caméléon, ou plutôt une sorte de Stradivarius, ballotté d’un réalisateur à l’autre, d’une esthétique à l’autre. On s’aperçoit alors que la réserve, l’impassibilité, l’underplay offrent infiniment plus de possibilités que le jeu extraverti traditionnel. » (Politique des acteurs. Editions de l’Etoile-Cahiers du cinéma, 1993).                                 

Un mot encore sur les personnages de Cooper : le quaker « La  Loi du seigneur » cadre bien avec les rôles de la dernière période de sa carrière. Cooper, l’ex-séducteur de « Morocco », l’ex-aventurier des « Trois Lanciers du Bengale », flirte alors avec les personnages en butte à leur environnement. Etrangers au monde, marginaux ou injustement accusés. C’est l’architecte de King Vidor dans « Le Rebelle », le capitaine Wyatt, faux traître de De Toth, le pistolero individualiste de « Vera Cruz », ou l’homme blessé, voire secrètement torturé, comme enfermé dans son secret, dans « L’Homme de l’Ouest » et « La Colline des potences ».     

 

De « La Loi du seigneur », on voudra retenir encore une charmante ouverture, où une oie ingénue pourchasse un jeune garçon, une course en calèches où deux trotteurs se défient, la rencontre improbable des Birdwell avec une vieille femme et ses trois filles rustres. Elles n’ont pas vu de garçon depuis longtemps. On imagine ce qu’elles font subir au timide Anthony Perkins – dans les limites de la décence, bien évidemment, censure oblige.      

Mais les goûts évoluent : combien de jeunes spectateurs pourront aujourd’hui apprécier la subtilité de ces scènes ? Pour notre part, on ne laissera pas d’être intrigué par le fait qu’en 1957, « La loi du seigneur » a soulevé la palme d’or à Cannes devant Bergman et son « Septième sceau », ainsi que Fellini et ses «Nuits de Cabiria » ! On dit par ailleurs que « La Loi du seigneur » était le film préféré de Reagan qui l’offrit en 1987 à Michael Gorbatchev… Comme quoi un film n’est jamais perdu pour tout le monde.   

 Christophe LECLERC